Lire la première partie du témoignage de Khalida
À neuf ans, après avoir survécu à la destruction de l’orphelinat juif dans lequel je vivais, j’ai été vendue comme une marchandise sur un marché d’esclaves entre Israël et la Jordanie. Le prix ? Dix shekels. Ceux qui m’ont vendue ne m’ont pas regardée comme une enfant, mais comme un fardeau dont il fallait se débarrasser. Vendre les enfants, c’était commun à cette époque dans les familles pauvres ou affectées par la guerre.
Un bédouin musulman m’a achetée et m’a emmenée dans le désert, sur un chameau. Il était éleveur de chameaux. Ils vivaient dans des tentes. Sa femme m’a accueillie avec ces mots :
« Tu es notre esclave maintenant. Tu ne mangeras pas avec nous. Tu ne dormiras pas avec nous. »
Je vivais avec les animaux, dans la poussière, dans le froid des nuits désertiques. J’étais traitée comme moins qu’un être humain.
La survie au désert
Celui qui m’a achetée m’a dit: “à partir de maintenant, tu es musulmane. Tu dois maintenant couvrir tes cheveux, prier 5 fois par jour. Ne parle pas aux hommes et ne discute jamais avec eux.”
Il m’a donné un chameau mâle, que j’ai nommé Ali. C’était mon compagnon, mon seul ami. Il était doux et fidèle. Ensemble, nous traversions le désert, jours après jours, à la recherche d’herbes, d’eau et de nourriture pour les échanger au marché contre du sel ou de la farine.
Je suis devenue adulte trop tôt. J’ai appris à survivre avec presque rien. Mon quotidien, c’était marcher pieds nus dans le sable brûlant, grimper des montagnes, cueillir du zaatar (une herbe locale), dormir à la belle étoile.
Encore un conflit, encore une perte
À l’adolescence, une nouvelle tragédie a frappé. Notre tribu a été attaquée par une autre. Tous les hommes adultes ont été tués. Les jeunes garçons ont été capturés. Toutes les femmes, même les plus âgées, ont été violées. Aucune d’entre nous n’a été épargnée. J’avais environ 14 ans. Ce fut ma troisième famille perdue… la troisième destruction.
Nous, les survivants, avons été abandonnés sur un pont : le Pont du Roi Hussein, à la frontière entre Israël et la Jordanie. Nous étions une cinquantaine d’enfants et d’adolescents, sans repères, sans avenir.
Alors que nous étions là, des soldats israéliens sont arrivés. L’un d’eux a pointé son arme sur moi et a dit, en hébreu (je comprenais l’hébreu):
« Je vais la tuer. »
Mais un autre soldat a répondu :
« Adonaï ne sera pas content si tu fais ça. »
Et il a baissé son arme.
– Dieu l’avait sauvée une fois de plus.
Accueillie par la Jordanie : un miracle inattendu
Ne pouvant pas nous laisser sous le pont, ces hommes ont essayé d’appeler les pays voisins pour voir si on pouvait nous accueillir.
Aucun pays ne voulait de nous. Ni Israël, ni le Liban, ni la Syrie. Mais la Jordanie, sous le règne du roi Hussein, a ouvert ses portes. Son épouse, la reine Alia, et sa sœur Muna, dirigeaient un orphelinat dans la capitale, Amman. Ils nous ont accueillis comme leurs propres enfants. Ils nous ont donné des vêtements, de la nourriture, des soins. Et surtout, un sentiment d’humanité retrouvée. Je me souviens avoir serré la main du roi Hussein lui-même. Ce fut un moment inoubliable. Ça a été ma quatrième maison, en quelques sortes et j’avais environ 14 ans.
Une surprise du ciel : retrouver mon père
Quelques mois après mon arrivée à Amman, par miracle ils ont retrouvé mon père.
En fait, on m’avait demandé mon nom complet. En tant que Palestinienne, j’avais appris ma généalogie sur cinq générations : le nom de mon père, de mon grand-père, et de leurs pères avant eux.
Grâce à cela, les autorités jordaniennes ont retrouvé mon père biologique, soldat vivant quelque part dans le pays. Un jour, on m’a emmenée dans une voiture avec des policiers. On m’a dit : « Nous avons retrouvé ta famille. Ton père est vivant. Tu vas aller vivre avec lui. »
J’étais surexcitée. Je ne savais pas que mon père était vivant. Orpheline de mère, après tant d’années de solitude, d’esclavage, de pertes, d’abandon… une nouvelle famille m’attendait. J’allais enfin retrouver mes racines.
Enfin, c’est ce que je pensais…
La police jordanienne m’a conduite chez mon père. Ils ont frappé à la porte. Il est sorti, et ils lui ont dit : « Voici ta fille, Khalida. Elle a traversé l’enfer. Nous voulons te la confier. »
Il a nié. « Ce n’est pas ma fille », ’a-t-il répondu.
Ils ont mis un pistolet sur sa tempe. Ils l’ont forcé à m’accepter.
« Soit tu l’acceptes, soit on te tue », lui ont-ils dit.
Il a accepté. Par contrainte. Non par amour.
Une famille brisée dès mon arrivée
Je suis entrée dans une maison où il y avait déjà sept ou huit enfants, une femme enceinte, et encore une troisième épouse. Dès le premier regard, sa famille m’a haïe.
Ma belle-mère était tombée dans un premier accès de colère à l’apparition de cette étrangère dans leur foyer. Mon père a essayé d’expliquer qu’il “devait” m’accueillir, parce qu’il le fallait, pas parce qu’il le voulait.
Très vite, j’ai compris qu’on me considérait comme un poids, une honte. Mes frères et sœurs me repoussèrent. Ils racontèrent aux voisins que j’étais sortie des égouts, pour éviter de reconnaître que j’étais leur demi-sœur légitime.
Violence et honte : la survie quotidienne
Ma vie est devenue un calvaire. Chaque regard était un reproche. Chaque mouvement, une faute. À cuisiner, nettoyer, chercher de l’eau, je travaillais sans répit pour “mériter” ma place. Jamais les efforts n’étaient assez.
Mon père m’interdisait de l’approcher ou de parler. Il avait même envisagé de recourir à un “crime d’honneur” après avoir appris que j’avais subi des violences sexuelles dans le désert. Ma vie ne tenait qu’à un fil.
Je voulais mourir. À quinze ans, je suppliais Dieu de prendre ma vie.
Une tentative de mariage imposée
Quand ma belle-mère lui a dit : « Tu dois te débarrasser d’elle. Tant qu’elle est avec nous, on ne pourra pas marier nos filles. Elles n’auront pas de bons maris », mon père a imaginé deux solutions : me marier à un inconnu ou me tuer. Je l’ai supplié à genoux : « Laisse-moi rester avec vous. Vous n’aurez pas a me nourrir. Je me débrouillerai pour trouver à manger ou à boire. »
Il m’a repoussée et m’a donné des coups de pied. Il m’a dit : « Tu es un poison. Je serais mieux sans toi. »
Un de mes demi-frères est même venu vers moi la nuit pour me faire des menaces de mort: « Tu veux que je te noie ? Te poignarde ? Te balance dans le désert où il y a des serpents et des scorpions? »
Je ne pouvais pas fermer l’œil, terrifiée à l’idée qu’il passe à l’acte.
Menacée de mort par mon père
Un jour, mon père m’a appelé dans le sous-sol, la pièce où étaient rangés tous les objets inutiles. Je pensais qu’il voulait me donner des taches ménagères mais il avait un bidon plein d’essence qu’il a versé sur moi.
Il me criait : « Je dois effacer ma honte. Je ne peux plus regarder personne dans les yeux. Personne ne veut de toi ici. Alors je dois t’éliminer ! »
Il tenait une allumette en main, prêt à brûler mon corps. Je sentais l’essence couler sur moi, brûlant ma peau.
Miracle : l’allumette est tombée sous un meuble… impossible à atteindre. Défait, il partit sans achever ce qu’il avait commencé.
Fuir pour survivre
J’étais trempée d’essence. Pieds nus, je me suis enfuie chez des voisins… qui étaient… juifs. Ils m’ont accueilli. Ils ont pris mes vêtements, nettoyé mes brûlures graves, m’ont enveloppée dans une couverture. Ils m’ont cachée dans leur placard une semaine.
Je souffrais atrocement. Ma peau était en lambeaux. Je vomissais. Ils ne pouvaient pas m’amener à l’hôpital, de peur que mon père se venge contre eux.
Mais au bout d’une semaine, ils m’ont raccompagnée chez moi. Un voisin arabe a averti ma famille : « Elle est gravement malade. »
Alors, mon père a permis qu’on m’emmène à l’hôpital et que je recoive des soins.
Après quelques jours, j’ai été soignée. De retour, mon père m’a informée qu’il avait arrangé mon mariage avec Muhammad, un homme installé aux États-Unis, futur imam. J’avais 15 ans.
On m’a envoyée loin. Loin de la violence, de la haine. Mais je n’étais pas libre. J’étais promise, pas aimée.
Aisha
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